Le père Henri SECHAUD s’est éteint en 2009 à l’âge respectable de presque cent ans et ses obsèques ont été célébrées le 12 août en présence d’une foule nombreuse et recueillie. Il avait auparavant écrit ses mémoires de la guerre de 39-45 et il nous était difficile de faire des coupures dans son texte tant son récit est prenant par sa simplicité et son style. Le voici tel qu’il nous l’a transmis, grâce à Josette FARGEOT qui a recopié fidèlement les écrits de celui qui fut curé de Commentry pendant 37 ans.
2 SEPTEMBRE 1939
Suivant l’ordre de mobilisation, immédiatement et sans délai, je me présente avec d’autres en fin de matinée à la gare de MONTLUCON, pour rejoindre GUERET. Il n’y a aucun train et je suis invité à revenir l’après-midi, vers 16 heures.
A 16 heures, embarquement dans un wagon à bestiaux (chevaux en long 8 / hommes 38-40) Départ un peu bruyant – Long arrêt à BUSSEAU sur CREUSE, où des hommes se servent de boissons au buffet, sans payer. Arrivés à GUERET, c’est déjà la nuit. Nous sommes conduits à la caserne des Augustines pour être enregistrés et habillés. Il manque beaucoup de choses (un pull kaki, pas de vareuse) : pantalon, capote, molletières, pas de chaussures
Conduits en groupes au lycée de jeunes filles, en haut de la ville, chacun trouve une place où il peut dormir (moi au réfectoire).
Le lendemain, lundi, formation des compagnies du bataillon 1 du 98 ème RI – réserve du 121Commandement lieutenant-colonel MIGNON Commandant MAILLER
Bataillon des officiers de réserve, des sous- officiers de métier du 121, j’en connais un certain nombre (paroissiens de Saint Paul à MONTLUCON)
Affecté à l’Etat-major du bataillon ravitaillement (responsable du train de combat- roulante) alors que sur mon livret j’étais marqué spécialiste indispensable au mortier de 81. J’avais fait mon service dans une compagnie de mitrailleuses et une période à BOURG-LASTIC, d’où je suis revenu sergent
Puis deux autres périodes à MONTLUCON dans une pagaille monstre (surtout la deuxième), il n’y avait que des sous-officiers – j’ai vu le mortier et la façon de le mettre en batterie, je n’ai jamais utilisé de torpille Canon de 25 cinéma tir.
Au 98ème il y a beaucoup d’hommes de l’Allier, du Puy de Dôme, du Cantal, et de la Loire. Beaucoup de prêtres de MOULINS et d’Auvergne Beaucoup d’enseignants
Prêtres: Alexis Perrin – Grimaud – Nebout – Couteau – Leclercq – un père de Sept Fons – Deret – Abbé Dacher de Clermont – Régis Arnaud des Ecoles Chrétiennes et d’autres.
DISTRIBUTION DES ARMES
J’hérite d’un fusil 7/15 – en active, j’avais toujours eu un mousqueton- je retourne au magasin et j’échange mon fusil contre un revolver 7.65 (c’est plus commode pour ma fonction) et on m’octroie un vélo (tout neuf). Peu à peu, on fait connaissance les uns avec les autres et les compagnies se forment. Le soir, beaucoup partent en voiture coucher à MONTLUCON. Je vais à l’église ST PAUL et je dépose ma valise au presbytère. Je ne la récupérerai qu’en Juillet 1945. Au ravitaillement, il y avait des voitures (cuisine – voiture de compagnie – caissons de munitions). Les conducteurs choisissent des chevaux dans la collection, réquisitionnés et chacun cherche le meilleur; le capitaine de réserve (enseignant) fait le nécessaire pour les équiper.
Un jour, tout le bataillon se met en marche, moi sur un caisson de munitions, heureusement, le capitaine tenait les guides (moi j’avais peur des chevaux et j’avais le vertige).
SAINTE FEYRE
Quelques jours après, tout le régiment, censé être prêt, fait une prise d’armes sur la place Boniaud. On avait une assez belle allure.
Le 13 septembre (un jour de brise) nous embarquons le soir. Il y a quelques problèmes avec les chevaux et les autos. Sur la plate-forme, on met les mitrailleuses en batterie.
Les wagons sont aménagés, c’est à dire que dans la moitié du wagon, il y a des bancs rudimentaires (on est mieux par terre). Les camarades démontent les bancs et jettent les planches à l’extérieur. Après une nuit assez peu ensommeillée, le train s’arrête. La portière ouverte, je vois une chapelle avec une statue de la Vierge, dorée. Je ne sais pas où on est (20 ans après, j’ai fait la connaissance du pèlerinage d’ARGENTON sur CREUSE). Le train repart et roule toute la journée vers la LORRAINE. Passage à BAR le DUC, débarquement à PAGNY sur MOSELLE – ancienne frontière après 1870- 1918. .
Sous la pluie et dans la nuit, la mise en route est difficile pour remonter le long de la Moselle. Certains chantent «l’Internationale ». Il règne un grand désordre. Mon vélo porte mon sac. Nous arrivons péniblement, dans la nuit, dans une petite localité. Certains arriveront avec plusieurs heures de retard. Nous passons deux jours dans ce petit pays puis reprise de la marche de nuit. Le Colonel fait la chasse aux traînards et à ceux qui montent dans une camionnette. Ensuite, un soir, nous arrivons à ORNY (la zone n’est pas évacuée), nous cantonnons dans les granges, il fait froid.
Un jour, au rapport, le lieutenant m’informe que étant sous-officier, je dois aller avec le conducteur, échanger notre calèche (réquisitionnée) pour un fourgon avec deux chevaux. Croyant à une galéjade, je n’y suis pas allé. Mais le lendemain, nouvel ordre et je me décide avec deux hommes et la calèche. On revient avec un fourgon.
Sous-officier, contre l’emploi des gaz, personne ne m’a dit ce qu’il fallait faire en cas. Dans le fourgon il y avait une énorme caisse. Plus tard, je regardais à l’intérieur : elle contenait des tenues plastiques …
A ORNY, nous avons séjourné environ 15 jours,. Le curé a très bien reçu les prêtres (il y avait l’Abbé GRIMAUD de MOULINS, lieutenant au CSD) On ne savait pas pourquoi on était là. Un jour, nous avons fait un mouvement (tout le régiment). PONT-à-MOUSSON, MONTRAVILLE, BOIS-IE-PRETRE. Au milieu d’octobre, nous sommes arrivés au camp de MOURMELON: nous y sommes restés 6 mois. Il y avait des milliers de soldats, des Anglais, des Noirs et parfois il y avait des matchs de foot (ifs a long way). .
On ne savait pas comment occuper nos journées mais nous étions dans des bâtiments en dur L’hiver 39-40 a été très rude (des hommes allaient couper des sapins pour faire du feu) et toutes les conduites d’eau étaient gelées (celles des bâtiments des toilettes aussi). L’adjudant venait dire de temps en temps: « il faut nettoyer les latrines» mais c’était impossible. Il y a eu le vin chaud du soldat, la chorale de la Division dirigée par Alexis PERRIN … Les hommes ouvriers d’usine ont été renvoyés chez eux (par Monsieur DAUTRY, Ministre de l’Armement et Montluçonnais): il ne restait que les cultivateurs, les enseignants et les prêtres. Personne ne nous a dit qu’il fallait remettre les usines en route.
Chaque matin, il fallait évacuer les 3 chevaux et les mulets morts de froid dans la nuit (il n’y avait pour eux que des hangars non fermés). Dans mon groupe, il y avait un sergent de carrière qui était bien avec le commandant. Bien souvent, il allait lui dire qu’on ne pouvait pas sortir alors on jouait aux cartes. On était assez bien nourris. Quand le dégel est arrivé, les chariots enfonçaient dans la craie jusqu’au moyeu. On mettait des branches qui étaient vite englouties. Nous avons fait quelques manœuvres par un froid intense. Chargé du convoi des roulantes et des voitures de Compagnie, le vin gelait. Pour se réchauffer, les conducteurs faisaient la course. Je ne pouvais pas les empêcher et si le Colonel nous avait vus, j’aurais perdu mon grade de sergent.
Une autre fois, un dimanche, tous les prêtres de l’armée ont été réunis avec l’Archevêque de REIMS qui a été quelques jours après nommé à PARIS (Mgr SUHARD).
Il y a eu les permissions: pour moi, une pour Noël, l’autre au printemps. Les permissionnaires étaient rassemblés à FISMES dans un immense local. Il y avait plus de mille soldats et les costumes les plus divers. De temps en temps, il fallait faire un rapport sur le matériel. Au grand fourgon, il y avait sur le côté un emplacement pour une flèche (un timon de rechange). Dans mon rapport, je dis qu’elle avait disparu. Le lieutenant transmet. Quelques semaines après, le commandant de réserve (de VICHY) du matériel, me fait appeler et me dit d’envoyer deux hommes pour prendre la flèche et il ajoute qu’il n’y en avait jamais eu. Au cours de la retraite, en sortant d’un champ très boueux, la flèche du fourgon s’est cassée et nous avons été très heureux d’en avoir une de rechange.
Dans une caisse à munitions, avant de faire mouvement, il fallait voir si le nombre de balles était complet. Je me suis trompé et on nous a livré une caisse de bandes de mitrailleuse. C’était en trop et le sergent d’active s’est arrangé pour aller à la butte de tir avec trois hommes. Ils ont tiré toutes les balles et ont enterré les douilles.
Les permissions: 15 jours pour Noël dont la première partie à ARFEUILLES et la deuxième à MONTLUCON. Au retour, le train MOULINS – CHAGNY-BEAUNE (grand centre de rassemblement) – REVIGNY – MOURMELON
Ma deuxième permission était en mars, à ARFEUILLES et MONTLUCON. Au retour à REVIGNY, nous croisons un train, sur le même quai, avec des camarades qui viennent de MOURMELON: le régiment a fait mouvement. Pas pressés, nous décidons de continuer sur MOURMELON. 24 heures après, nous sommes de nouveau à REVIGNY, d’où nous allons à METZ. Nous y débarquons dans la nuit. Nous sommes conduits à la caserne FERRAUDY. Le lendemain, le secteur 119 est embarqué en camion pour retrouver le régiment. Il se passe une chose extraordinaire: je retrouve mes objets personnels, mes camarades et mes armes.
Les jours suivants, nous sommes en zone évacuée dans le secteur fortifié de BOULAY. Nous sommes logés au camp de «Ban St Jean », caserne pour les équipages des forts. J’ai compris que la ligne Maginot se composait de grands ouvrages et d’une multitude de petits ouvrages et notre rôle à nous était de protéger ces forteresses en étant dans le « no man’ s land».
Pour le moment à Ban St Jean, nous menions une vie de caserne très allégée: théâtre aux armées; le jour de Pâques, plantation de rosiers «GAMELIN ». Quelques jours après, nous avons relevé un autre bataillon en avant de la ligne MAGINOT, après avoir franchi des rails. Nous étions cantonnés à HAM-sous- V ASBERG, des pays complètement ravagés par la troupe française. Ensuite notre bataillon est monté aux avant-postes. Cité Canda, CREUZW AL T, la forêt de la HOUYE. Nous étions, l’Etat-Major, logé dans une maison forestière, et en avant, il y avait des avant-postes avec des hommes qui étaient censés veiller. C’était le printemps, il faisait un temps magnifique. Nous avons pu manger du chevreuil. On pouvait se promener, il n’y avait pas d’ennemi. Alexis PERRIN, chargé des transmissions était en avant-poste. Chaque jour, on recevait le ravitaillement et nous avions un bon cuisinier.
Nous étions là le 10 mai quand l’attaque allemande s’est déclenchée. Pour nous, rien n’était changé. Nous écoutions les nouvelles à la radio du régiment et le récit des attaques allemandes. Quelques jours après, nous faisons mouvement pour occuper un secteur abandonné par les Anglais, partis s’embarquer à DUNKERQUE (nous l’avons su plus tard). Nous avons logé dans différents villages et nous arrivons à DALSTEIN et un jour après à MENSKIRCH. Dans ce village, il n’y avait que l’Etat-Major du bataillon. On logeait dans les maisons et le soir, nous devions mettre des machines agricoles pour nous protéger, mais personne ne nous a dérangés.
Le G .R.D à cheval a fait une reconnaissance et un homme a été tué. Avec un motard, je suis allé assez loin à l’arrière pour chercher une caisse de grenades. Au retour, en ouvrant la caisse, je m’aperçois qu’elle contient des grenades d’exercices? Nous n’avons rien à faire.
Un jour, nous changeons de village et nous arrivons dans une commune où des hommes du génie descendent les cloches du village. Sur une cloche, il y a: «je remplace ma sœur volée par les Allemands en 1917 ». Nous rentrons à MENSKIRCH et le dimanche 9 juin, il y a une messe solennelle entre les deux villages. Le 10 juin, nous recevons l’ordre de départ sans savoir ce que nous allons faire. Nous partons avec tout le matériel derrière nous. Nous plantons les rails sur la route. Dans cette retraite, nous marchons plutôt la nuit et nous cantonnons où nous pouvons (à MOMERSTROFF, dans une grange avec les rats).
Autour de METZ, quelquefois des avions nous survolent, surtout la « stirche » (petit avion de reconnaissance). Le dimanche 16 juin, dans une petite commune, les gens se promenaient au soleil. Après nous, il n’y avait plus de troupes françaises. Nous avons fait un bon repas, préparé par des gens. J’ai voulu coucher dans un lit, je n’ai pas pu dormir. Je me suis équipé, et j’ai couché dans la grange, réveillé par un chien. La nuit, nous sommes partis et c’est la première fois que j’ai vécu dans un grand désordre. Des soldats de tous les régiments se croisaient sans savoir où on allait.
Dans ce village, il y avait de beaux chevaux et je disais aux camarades qu’il faudrait en atteler pour remplacer les nôtres, complètement épuisés. C’était impossible, ces chevaux étaient en liberté. Nous marchions avec le matériel. Arrivés dans un pays, on recevait l’ordre de repartir. Un jour, pour emmener les roulantes, nous mettions tous les chevaux sur les mêmes voitures et on recommençait.
Nous avons, le mardi, franchi la Meurthe, à ROSIERES aux SALINES et avons cantonné sur la colline, sans savoir où aller. Le sergent d’active s’est mis en Pyjama. Le mercredi matin, au lever du jour, 19 juin, des obus tombent sur le village. Tous les conducteurs partent au combat. Je ne les ai jamais revus. Avec quelques camarades, nous partons à pied, au hasard, sous le bombardement. Nous sommes entrés dans la cave de l’école. Après un temps, nous sommes sortis : mon vélo était détruit. Nous partons à pied. Sur la route, les voitures sont renversées. J’ai ramassé dans ma musette trois ou quatre boîtes de singe. Nous partons sans savoir où nous allons sans même une carte des P.T.T. Dans une ferme, nous entrons pour demander de l’eau. Dans la salle, il y avait un vieillard au lit. Il me dit: « Sergent, voulez-vous tuer mon chien, j’ai peur qu’il attaque les allemands ». Je n’ai pas voulu le tuer.
Nous continuons à marcher et nous arrivons au lieu-dit «Château de Ferrières », une très grande maison avec une très grande cour. Sur l’entrée il y avait un drapeau de la Croix Rouge. On a refusé de nous laisser entrer avec nos armes. Nous avons donc laissé nos armes et nous sommes entrés dans une cave. Mais ne sachant que faire et ne pouvant nous reposer, nous sommes ressortis. Un lieutenant inconnu, tout seul nous dit: «vous pouvez rester là et la nuit vous continuerez ». Puis il est parti. Quelques temps après, une automitrailleuse arrive avec un équipage en bras de chemise. Ils nous disent : « vous êtes prisonniers, allez sur la route plus haut. » Là, nous avons trouvé des centaines d’hommes. Nous nous sommes remis en route, accompagnés par quelques allemands armés. Nous avons de nouveau traversé ROSIERES aux SALINES (la MEURTHE) et conduits à DOMBASLE où nous avons été stockés dans l’église. Nous étions tellement fatigués que nous avons dormi sur les dalles.
20 juin: départ d’une immense colonne. Des soldats allemands disent:« Ah, elle est belle, l’armée française! ». Plus tard, nous sommes rassemblés dans une prairie avec quelques gardes. On ne s’occupe pas de nous. Une journée passe puis une nuit.
Le 21, nous partons en colonne et le soir nous arrivons à LUNEVILLE dans la caserne des Cuirassiers. Là, nous trouvons beaucoup de camarades du 98 et en particulier le Lieutenant du bataillon, des officiers, dont le Lieutenant DURET. Ils ne sont pas mieux informés que nous et nous nous installons dans les écuries. On est à l’abri sans manger.
Le lendemain, nous sommes séparés des officiers et nous partons en immense colonne de LUNEVILLE à DIEUZE: le soleil, l’orage, la pluie et pour nourriture quelques petites carottes. Dans les villages, les habitants ont installé des récipients pleins d’eau et en passant, nous pouvons boire. Nous arrivons à DIEUZE dans une caserne de C.R.S qui sont partis mais toutes les places à l’abri sont occupées. Je me couche le long d’un mur et je pense: « si cela doit durer, je préfère mourir tout de suite ». Le lendemain, nous sommes embarqués en camion et emmenés dans la région de CHATEAUSALINS. Nous sommes dans une immense entreprise agricole. Nous pouvons dormir dans le foin, à l’abri. Nous sommes restés au moins trois semaines, sans rien faire sauf des appels à tout bout de champ. Nous n’avons pas grand-chose à manger. Je fais connaissance avec les poux.
Dans le cantonnement, des informations circulent: nous allons être démobilisés, jamais nous n’entendions dire que nous irions en Allemagne. Vers le 20 juillet, nous sommes conduits à DIEUZE et le soir, nous embarquons, un peu tassés les uns sur les autres. Au matin suivant, on peut regarder par la petite ouverture: SARREGUEMINE. La vérité éclate. Toute la journée nous roulons, la portière a pu être entrouverte. Nous avions reçu une boule de pain que nous mangions par petits morceaux. Le soir, arrêt en pleine campagne pour toilettes, entourés de mitrailleuses. Après une nuit, nous arrivons à LUCKENWALDE à quelques 40 km de BERLIN. En rang, nous faisons peut-être 3 km et nous arrivons dans un camp immense mais bien vite installé. Avant de rentrer, nous passons une nuit, dans une grande tente, couchés sur de la paille très abîmée et sale. Le matin, ce doit être samedi.
Devant une série de bureaux, on donne nos papiers, notre argent, notre montre. Devant moi, il y avait un prêtre du Nord, professeur d’allemand. Grâce à lui, je peux garder un « diurnal ». Ensuite, c’est la douche. C’était bien installé et en quittant la douche, nous passons dans un couloir avec de l’air chaud pulsé. Nous attendons assez longtemps que nos habits reviennent de la désinfection et nous recevons chacun une chemise, un pantalon, une capote. Ensuite nous prenons la direction de l’intérieur du camp, entouré de deux réseaux de barbelés pour moi, le plus marquant. La nuit, du haut des miradors, les projecteurs tournaient peut-être toutes les 2 ou 3 minutes.
En rentrant dans la baraque en dur, chacun trouve une place sur des lits superposés avec des planches comme matelas. Nous étions très nombreux, il n’y avait pas un siège pour chacun. Sur le mur, une très grande affiche tricolore avec un marin (MERS EL KEBIR) qui appelait au secours.
Le lendemain, dimanche, le curé de LUCKENWALDE est venu célébrer une messe sans la permission de parler. Dans la journée, on fait connaissance avec les lieux, les grandes rues pavées, le bâtiment Abord (water) Je retrouve quelques camarades.
Le lundi, à 20, nous sommes embarqués sur la remorque d’un tracteur et nous partons pour le K.D.R de travail. Alors commence une nouvelle étape.
C’est une autre histoire où je suis resté 5 mois et demi. Le nom du pays est WERBIG KNEIS JUTERBOG. Débarqués sur la place du village, les agriculteurs choisissent leurs ouvriers. Par mon allure générale, je reste le dernier. Je suis embauché chez un agriculteur assez important avec un gars du métro FERNAND (je ne sais plus son nom de famille). Il a toujours été très gentil avec moi. Dans la maison, il y avait les parents et une adolescente, un ouvrier polonais et sa sœur (jeunes) volontaires pour vivre. Logement: dans un grenier, au premier, le gardien logeait dans une chambre à côté. Deux étages de bas flancs (couvertures et édredons fournis par le patron). Au milieu un poêle construit sous le toit, directement. L’été, il faisait très chaud, et plus tard, ils ont mis un plafond synthétique. L’hiver, la condensation se faisait et il y avait des glaçons qui pendaient au plafond.
Chaque propriétaire devait donner quelques briquettes pour le feu et on essayait d’en prendre d’autres. Le propriétaire du local était le fermier qui habitait de l’autre côté de la cour. Il avait beaucoup de dents en or et nous l’avons appelé Chrysostome. Ce nom lui est resté.
Le travail; lever vers 6 heures, toilette rapide et départ au travail. A la maison, il y avait une boisson chaude (café) et un peu à manger rapidement puis distribution du travail. Un travail de campagne, beaucoup de machines. Les terrains cultivés étaient très longs mais peu larges. A la ferme, il y avait des chevaux et une paire de bœufs, très imposants, un énorme verrat, des porcs, des vaches, des moutons, des poules. On partait au travail avec un casse-croûte copieux pour la pause du matin (fruestuch). A midi, à la maison repas important pas de pain mais repas rapide (mittag essen). Nous mangions dans la cuisine à une petite table, les patrons et leur fille à une grande table mais dans le même local. Les jeunes polonais mangeaient à part, ils devaient faire la cuisine je pense. Dans la maison, il y avait une belle salle – salon qui servait seulement pour les fêtes. Il y avait KOFFE – DRINK même le dimanche. Le soir (abend boot) copieux. Après nous rentrions à notre chambre (20 soldats), deux prêtres, un frère des écoles chrétiennes que je connaissais depuis. Longtemps (le frère du prêtre). A ce point de vue religieux, nous étions complètement isolés car ne parlant pas allemand. Nous sommes restés sans messe jusqu’à Noël. Dans le pays, il y avait un temple, la population étant protestante. Un jour, on nous a rendu nos montres et nos stylos.
A Noël, le 25 décembre, le gardien nous a emmenés (ceux qui voulaient- la majorité) dans un pays voisin, dans une salle de classe, où il y avait tout ce qu’il fallait pour la messe. C’est moi qui l’ai célébrée et j’étais heureux d’avoir tout mon attirail. Autrement, nous avions nos prières personnelles. Le prêtre du Nord ne disait rien, je n’ai pas su sa situation ecclésiastique.
A peu près au 15 Août, on nous a donné des formulaires pour écrire à nos familles. Nous espérons avoir des réponses dans les quinze jours. Dix jours après, on nous fait refaire nos formulaires (il paraît que les premiers n’étaient pas corrects).
Nous n’avions aucun lien avec le stalag sauf qu’on nous donnait une fois ou l’autre un journal édité par la Croix Rouge. Au mois d’octobre, un camarade n’est pas rentré, il était parti et personne n’en savait rien.
Les premières cartes sont arrivées vers le 10 novembre. J’ai été parmi les premiers qui en ont reçues. J’ai toujours la carte de ma mère qui me disait que les parents allaient bien. Ma sœur aînée, son mari et ses deux fils étaient à COURBEVOIE. Ma sœur religieuse était toujours à PONT du CHATEAU et elle avait pris son costume de religieuse. Mon plus jeune frère qui avait été mobilisé en 1938 à TOUL, dans un régiment d’artillerie à cheval était en bonne santé (démobilisé). Il s’était retrouvé, après l’armistice, avec son régiment dans le Midi de la France. Les dernières nouvelles que j’avais reçues étaient du 6 juin (c’était long).
Nous avons fait les moissons en ramassant les gerbes qui étaient stockées dans une grange où il y avait une petite batteuse .Quand il faisait mauvais, on battait pour remplir quelques sacs de grain. Nous allions aussi ramasser de l’herbe fraîche pour les animaux (le matin). Un gros travail a été la récolte des pommes de terre. Il y a eu pendant quelques jours des jeunes gens pour aider à la récolte. Pour eux, c’était la fête. On était encore mieux nourris sur place mais on avait le dos douloureux. Chaque équipe de deux avait quelques mètres à ramasser. Quand on avait fini, la machine tirée par deux chevaux était déjà passée en face. J’ai appris qu’il y avait différentes races de pommes de terre. Après le ramassage, on les passait à la trieuse: une partie vente, une partie consommation personnelle. Une partie était cuite à la vapeur et tassée dans un silo en maçonnerie, conservée pour nourrir les animaux au moment des grands travaux, l’été suivant.
La vie continuait, toute banale jusqu’à Noël. Pour les civils, il y eut un enterrement: les hommes avaient revêtu une redingote et coiffé un gibus. On a tué un porc et tout le village a participé; le cochon est mis dans des bocaux en conserve.
Il y a eu à Noël (weibnacht) pendant une semaine, le pain était remplacé par des gâteaux jusqu’à la «sylvester» – 31 décembre. A Noël, nous avons acheté avec notre argent (lagerguel) des petits pains blancs. Nous avions un salaire de 70 pfennichs par jour – notre nourriture.
Au l » janvier 1941, mon patron n’avait plus besoin de deux ouvriers. J’ai été envoyé dans une autre ferme où il y avait déjà deux français cultivateurs. A leur aise, je remplaçais le camarade qui s’était évadé. J’ai perdu beaucoup au change. Le patron devait être le chef SA. Quand il gelait, on partait au bois couper les arbres. La neige nous tombait sur le dos mais j’ai peiné. Au début de février, un soir avant de me coucher, j’étais fatigué et je suis tombé dans les pommes (hypoglycémie) Quand j’ai repris conscience, les camarades discutaient avec le gardien. C’était assez houleux. La décision a été prise que j’irais voir le médecin le lendemain. Il n’y en avait pas dans le pays. Le lendemain, le gardien m’a conduit en calèche. Le médecin parlait français. Il me demande ma profession et après m’avoir ausculté il me dit: « ça va, vous voulez peut-être rentrer au stalag». J’accepte d’autant plus que d’après la « convention de guerre », les sous- officiers n’étaient pas obligés de travailler en dehors des camps. J’ai appris par la suite que les sous-officiers «réfractaires» étaient rassemblés dans un lieu où il fallait construire le camp.
Le jour suivant, je suis parti, conduit par le gardien, d’abord en bus puis en train. Il fallait aller jusqu’à la gare centrale de BERLIN pour prendre la direction de LUCKENWALDE (la direction de PARIS). Arrivés à destination, nous sommes allés à pied, le gardien et moi. Il m’a remis à l’entrée, au poste de garde. Une autre vie commençait.
STALAG 3 A- LUCKENWALDE – FEVRIER 1941
Après la douche et la désinfection, nous attendions le retour de nos habits et on bavardait. A l’un d’eux, je dis: « je suis content de rentrer, j’ai des douleurs surtout dans les mains à cause des outils. Je ne suis pas habitué à travailler manuellement ». Il me dit: « quel est ton métier? ». « Je suis prêtre». Il dit: « moi aussi ». Après, on nous a conduits à une baraque où étaient réunis des prêtres, des artistes, des journalistes, des gars sans métier qui trouvaient la place bonne. Les prêtres nous accueillent, les deux nouveaux et ils ont toujours cru que nous nous connaissions avant. Ce prêtre avait, plus jeune, travaillé à la mine dans le Nord et avait été soldat dans un régiment du génie. Nous ne nous étions jamais vus. C’était le rassemblement des inutiles.
Après l’entrée fermée et les miradors, on était dans le camp. Il se composait de plus en plus de la compagnie de garde (installée à l’extérieur des barbelés). Il y avait tous les bâtiments du service où nous avions notre fiche et notre photo, magasin de vêtements, cordonnerie, infirmerie, officiers de police, compagnie de discipline, etc. de nombreux locaux alignés. Déjà, de nombreux camarades étaient installés (un peu les bourgeois) : certains n’ont jamais quitté le camp pendant cinq ans. Les prêtres étaient donc installés dans un local en dur, et assez souvent, on changeait de local pour ne pas prendre des habitudes de propriétaires. Chaque bâtiment était le long d’une grande rue – deux parties et au milieu un local sanitaire qui ne servait pas. Plusieurs rues de chaque côté du local, environ 160 places, pas de tabouret pour chacun, défense de s’asseoir sur le châlit (au moins au début). Un chef allemand, souvent un caporal dépendant d’un adjudant et d’un lieutenant qui passait assez souvent. Un chef français responsable de la discipline, de partager le casse-croûte, de désigner ceux qui devaient veiller la nuit contre l’incendie.
Règlement:
– Ne pas s’approcher des barbelés, un fil de fer marquait la limite. On pouvait se promener pour passer le temps et le soir il y avait un lieu d’échanges.
– Défense de fumer. Quand les gardiens arrivaient, on criait « Papaouette»- quelqu’un avait monté une pièce de théâtre nommée « Papaouette », Le gardien disait: «la chambre est pleine de fumée et personne ne fume … »,
– Le matin, rassemblement sur trois rangs. Le gardien comptait difficilement, quelques-uns changeaient de place, c’était assez long, debout dans le froid ou la chaleur.
• Menu: Le matin une boisson chaude, un peu de margarine et de pain. Pour l’égalité, le chef français s’était procuré une petite balance (genre pèse-lettre) à un gramme près.
A midi, soupe à la cuisine, longue file d’attente pour recevoir une louche de soupe (koth robr) : quelques-uns arrivaient à passer deux fois. Le soir, ne souviens plus (sans doute pas grand-chose).Les abords (water) le grand salon où l’on cause, on s’habitue à tout, un édifice pour plusieurs compagnies. Une douche de temps en temps, coiffeur par un copain. Poux, punaises, puces … les poux de corps sont les plus désagréables et il faut chaque jour en tuer.
• Cimetière: Situé en dehors des barbelés, un prêtre prisonnier allait, accompagné d’un gardien faire les prières. Je l’ai souvent remplacé. Après l’arrivée des prisonniers serbes, il y avait danger de malaria, alors, chaque matin, on devait prendre un comprimé en présence du chef allemand. Les petites pièces d’eau du camp étaient -arrosées de pétrole. Cela n’a pas duré longtemps. Certains prétendaient que les comprimés étaient pour nous empoisonner. Les serbes habitaient des locaux séparés par des barbelés.
Le 19 mars, les prêtres ont fêté SAINT JOSEPH par une photo de groupe (Je l’ai encore), nous étions environ 80.
Pour occuper quelques prêtres, dans la matinée, conduits par un gardien, nous allions faire un peu de jardin j ‘ai la photo).
On pouvait lire : j’ai lu à ce moment « le Grand Meaulnes» et quelques autres livres.
• Groupes divers: il y avait des réunions diverses: Scouts, JOC, JAC, Cercle Pétain, Cellule Communiste. Il était important de ne pas avoir de liste de noms. Il y avait aussi des pièces de théâtre.
• Culte: le dimanche, messe officielle par l’aumônier français (un prisonnier). En semaine, pas de célébration: chacun pouvait célébrer dans un coin de baraque ou dans le local des lavabos: Vatican II n’était pas fait. Nous avons peut-être aidé à la réforme liturgique.
• Quelques types parmi les camarades: Je me souviens du Père DUGAS : il était novice mariste. Un jour, il s’est évadé en passant au poste de garde avec une enveloppe de la Croix Rouge. Par malchance, il a rencontré à la gare l’adjudant de notre baraque qui lui a demandé ce qu’il faisait et l’a ramené au camp. Il ne l’a pas emmené à l’officier de justice. Le lieutenant de notre compagnie qui parlait bien français lui demande: « Pourquoi êtes-vous parti? ». Il répond: «je suis étudiant et je suis parti pour continuer mes études.» «Je ne vous punirai pas car Je suis bon ». Le Père DUGAS lui répond solennellement: « Dieu seul est bon. ». Ce père se faisait souvent porter malade et il ne venait pas au rassemblement. Les autorités lui ont enlevé ses vêtements et il passait devant nous rassemblés, entouré d’une couverture. Devenu mariste, il est venu pour une semaine à la cure de Commentry.
Parmi les prêtres, il y avait toutes les situations : curés, vicaires, professeurs, religieux, jésuites, maristes, trappistes … Tout cela jusqu’en juillet 1941. Je venais d’apprendre l’assassinat de Marx Dormoy quand j’ai été désigné avec presque tous les autres prêtres pour passer en kommando de travail (pour petit travail et culte ?).
Nouvelle étape qui dura 4 ans
WÜNSDORF située sur la route et le chemin de fer de BERLIN à DRESDE. D’abord petit hameau groupé autour de son église (temple avec des fermes) Le long de la route, WÜNSDORF moderne ville de garnison – grande caserne-école d’officiers de chars, des bâtiments modernes pour les familles et un hôpital militaire important. Terrains de manœuvres, bois de pins, beaucoup de gros étangs et des lacs. Une gare avec des quais d’embarquement très grands. Et la Manutention entourée de clôtures, de très importants immeubles, des voies ferrées intérieures reliées à la gare. Le premier bâtiment était une boulangerie toute automatisée. Les sacs de farines diverses étaient montés au premier étage par une chaîne sans [A l’arrière mélange et passage dans un gros pétrin, un boulanger veillait au mélange. Après la pâte était mise sur des rayons et coupée en tranches : poids régulier et date marquée dans la pâte. Les différents rayons garnis étaient placés sur un plateau qui rentrait dans un four chauffé (température sur cadran) temps de cuisson à l’horloge. En sortant, après refroidissement, les pains étaient stockés – pain militaire – noir (dans des cartons).
• L’atelier: pour l’entretien des machines. A la suite grand dépôt sur quatre niveaux avec ascenseur et tourniquet en métal pour descendre les colis. Au rez-de-chaussée, magasin de distribution avec un quai tout le long du bâtiment. Bureau: un petit immeuble avec une grande bascule et dans l’immeuble, bureau, salle de douches et vestiaires.
• Un bâtiment avec d’énormes silos et sur le quai il y avait des grilles. On y versait le grain arrivé par wagons ou camions. Une vis sans fin entraînait les grains et au bureau, on pouvait suivre la marche sur un tableau électronique.
• De grands entrepôts en dur pour stocker les diverses marchandises (farine) des hangars pour la paille et le foin et botteleuse et quelques autres petites baraques, une petite écurie, un garage, des silos à pommes de terre, des meules de paille, des thermomètres partout, une baraque pour les prisonniers, les waters, une grande pièce d’eau en cas d’incendie. Sur un terrain séparé, il y avait une réserve de charbon (briquettes), branchée sur la gare. C’est, en gros, la description du lieu où j’ai travaillé pendant quatre ans.
Comme encadrement, il y avait le colonel (obest), dans une villa séparée, avec son épouse et une fille adolescente, un commandant (major) qui habitait en ville, un sous-lieutenant, des soldats (un peu planqués) des civils hommes et femmes. Par la suite, des femmes russes sont venues travailler (libres). Notre installation au dehors KDO dur (elle était déjà occupée à la guerre de 14), quatre baraques plus petites (une pour la cuisine – une pour dix hommes, une baraque pour les lavabos, un local-water). Au début, les gardiens logeaient dans une chambre à l’entrée de la grande baraque. Par la suite, ils ont eu un logement à l’extérieur des barbelés, dans une petite baraque construite pour eux ; j’étais dans la grande baraque. Dans une moitié, les lits (dont un superposé) et réunis par deux (ainsi le bloc pouvait loger quatre hommes – chacun en faisait son coin personnel). Dans l’autre parie de la baraque, tables et tabourets pour quatre. Nous étions toujours à la même place et les mêmes copains (sauf quand l’un ou l’autre partait et qu’il en arrivait un nouveau). Pour chacun, une paillasse. Nous pouvions, sans rien demander, changer la paille à la manutention. Une couverture, par la suite des draps pris dans des sacs vides et parfois des draps militaires à petits carreaux bleu et blanc qu’un camarade qui travaillait à la caserne nous fournissait. Quand il y avait une fouille, les draps étaient pris, quelques jours après, ils étaient revenus. Chaque jour, on faisait le ménage, à tour de rôle, et le samedi avec le jet d’eau, grand lavage (l’eau s’infiltrait dans le plancher) contre puces et punaises (nous n’avions pas de poux).
Dans la chambre, il y avait un poêle bien alimenté en charbon. En plus de ce que le règlement nous attribuait, les camarades qui travaillaient au dépôt de charbon, entre deux livraisons, nous en faisaient une en douce pour nous. Nous pouvions, le samedi, laver notre linge personnel : les chemises et caleçons étaient envoyés, par la manutention, à une grande laverie industrielle. Ce n’était pas prévu par le règlement mais les camarades ajoutaient cela. Au début ce n’était pas ainsi mais peu à peu des habitudes se sont prises.
Au KDO, nous étions sous l’autorité des gardiens, au travail, sous l’autorité militaire de la manutention. Il n’y avait pas beaucoup de communication entre les deux organismes. Quand le travail était fait, c’était le principal. A l’entrée, il y avait un local avec un tableau et chacun avait son numéro. Parfois, d’accord avec le titulaire, on prenait deux plaques et le camarade été censé présent: le soir, on remettait les plaques en place. Après de longs mois, nous étions vraiment intégrés dans les services. Le matin, distribution des tâches – en principe, toujours les mêmes’- assez souvent une sortie en camion à BERLIN pour les courses. l’ai été souvent désigné et c’était une journée de vacances, avec un chauffeur allemand habitué, on allait partout: Porte de Brandebourg, la Chancellerie, le Reichstadt, la Colonne de la Victoire (1870) Unter den Lindon, Alexander Platz , Empelhof, La Sprie, les lacs, Analter Banof, le 4 Bankke S. Bank. Parfois des alertes et nous allions dans de grands abris.
Pour le travail, parfois c’était très dur: chargement et déchargement des wagons. D’autres fois, des journées entières à traîner. Sauf le chef d’équipe, personne ne se souciait de nous voir circuler. Par moment, on se rendait aux toilettes, une petite baraque que l’on changeait de place quand c’était utile. Elle était bien organisée par les français: «c’était le salon où l’on cause ». Les allemands n’y venaient pas. Il suffisait de ne pas rester trop longtemps, c’était le fumoir et aussi la cache des choses resquillées
Culte: un petit travail En arrivant, deux camarades ont été désignés « priester ». Le premier semblait plus âgé que moi, le deuxième, plus âgé. Les gardiens, tous pasteurs (menscheud kin). Enfin, le deuxième jour, c’était moi (petit travail, alors j’étais à part). Au bout d’une semaine, j’ai demandé à travailler avec les autres, c’était plus gai et j’ai fait des travaux plus durs qui ont fait du bien à ma santé. Je crois maintenant que les prêtres avaient été envoyés sans doute pour le culte et le travail à mi-temps.
En juin 1944, j’ai reçu une feuille qui me donnait la charge de plusieurs KDO mais pas de moyen de locomotion. Je suis allé avec un vélo d’emprunt dans un KDO assez loin. Le soir de Pâques 1945, j’ai traversé une forêt où les soldats étaient en alerte Les arbres étaient prêts à être abattus sur la route. J’avais un brassard (que j’ai encore) : personne ne m’a rien demandé. Chaque dimanche la messe était célébrée pour les copains (assez nombreux) et pour les fêtes beaucoup plus. Les chants dans « prières du prisonnier» (données par l’aumônerie) étaient accompagnés par un saxophone.
La nuit de Noël, dans la salle de la cantine allemande messe de minuit. Peut-être aurais-je pu faire davantage pour les autres KDO ; je n’ai pas osé. Pour moi, tous les camarades étaient très gentils. Vin et hosties étaient fournis par l’aumônerie (mais pas au début). Sur l’étiquette des bouteilles, il y avait une indication pour dire que c’était pour le culte ; de temps en temps, il y avait aussi un message.
Ainsi, en novembre 1944, «en raison des gelées tardives, les envois ne seront plus assurés» ; la France était en grande partie libérée. Nous avons reçu en septembre 1944, comme une dépêche; «Lutèce libérée, pas de souci pour les familles, » Je n’en ai jamais su la provenance. Les derniers mois, un civil venait communier dans le bois, à l’extérieur du KDO. Je n’ai jamais su qui il était, c’était plus sûr. Un dimanche, des camarades me disent en nous promenant: « nous avons vu un curé qui célébrait la messe, entouré de quelques hommes ». Je ne le croyais pas, mais après la libération, dans une revue, j’ai lu que des prêtres, travailleurs libres, célébraient ainsi pour une petite troupe.
Avec nous, nous avions un camarade vendéen. Il était chauffeur, et souvent partait seul avec sa camionnette. Le vicaire de sa paroisse, l’Abbé GlRAUDET, était venu clandestin avec le S.T.O et ils avaient pu communiquer. Il devait venir nous voir le 6 juin 1944 et dans cette lettre, il mettait une photocopie d’une lettre qu’il envoyait en France pour expliquer son action. Nous nous sommes dits : «Il est fou d’écrire cela ». En fait, il n’est jamais venu nous voir mais après la libération, j’ai lu la vie de l’Abbé GIRAUD ET «sortant» d’un camp de concentration et mort chez lui quelques semaines après son retour.
En 1944, j’ai été convoqué au stalag, sans bagages. Au camp, j’ai retrouvé beaucoup de prêtres. Nous avions été convoqués pour recevoir Mgr ORSENIGO, nonce à BERLIN, en dehors du camp, car il n’avait pas le droit d’y entrer. Il y a eu une messe pontificale sur un stade, avec autour quelques mitrailleuses. Dans l’assistance, il y avait beaucoup de soldats italiens (internés militaires pas prisonniers de guerre). Ils étaient très malheureux (c’était après la capitulation de l’Italie). Parmi les internés, il y avait un certain nombre qui étaient du même pays que le nonce. On nous avait habillés à neuf et le soir, on a dû rendre les habits. Le lendemain, je rentrais au KDO. La vie a continué ainsi.
Les Russes approchaient. Il y avait des soldats allemands qui avaient fait comme nous en 40 : on leur donnait à manger. Le vendredi (fin avril 45), nous avons travaillé comme d’habitude. Le soir, nous avons été requis pour charger des camions de pains pour le front. Dans les rues, il y avait la Wolhshum (des hommes âgés et des jeunes gens) armée de « point d’acier» (bazooka). Sans savoir qui a donné l’ordre, nous sommes partis individuellement pour Je stalag, dans la nuit avec le minimum d’affaires, le calice, un colis de la Croix Rouge. Nous ne voulions pas nous faire enfermer dans BERLIN. Nous avons marché toute la nuit.
Au matin, les avions survolaient, j’étais fatigué et je voulais jeter mon colis Un camarade me dit: « jette plutôt ta couverture». Il avait raison. A 1l heures, nous étions à l’entrée du camp. Notre gardien nous a dit: « pour vous, la guerre est finie ». Il est parti tout triste. Nous sommes entrés au camp.
AU STALAG AVEC L’ARMEE RUSSE
Vers midi, nous avons franchi l’entrée du camp, on nous demande qui nous avait conduits et nous sommes entrés. Tous seuls, nous avons rejoint une baraque et nous avons pris place, couchés par terre. Entre camarades, on se relayait pour garder nos affaires et chercher des renseignements. Nous avions encore quelques vivres.
Le dimanche matin, je vais à la baraque où je trouve des prêtres qui célébraient. A mon tour, je commence la messe mais vers la fin, un très grand bruit: les chars russes entraient dans le camp et démolissaient les barbelés. Les prisonniers russes, affamés, se sont précipités dans LUCKENWALDE et je ne sais pas ce qui s’est passé. Les soldats russes dans leurs chars ne se sont pas attardés. Il n’y avait plus d’allemands.
TILLERMAN
J’ai pu passer quelques-jours chez- eux et j’ai appris beaucoup de choses sur eux, Le jeune homme était prêtre au Danemark et plusieurs enfants étaient mariés. Pendant des années, j’ai été en correspondance avec eux, jusqu’à la mort des parents.
En 1944, Monsieur TILLERMAN m’avait conduit en visite chez le curé catholique de ZOSSEN : j’ai été bien reçu mais il m’a dit de ne plus revenir. En effet, ZOSSEN était un grand centre du Haut Commandement. Il y avait des installations pour recevoir les visiteurs de marque (chefs d’Etat), salle de cinéma, des abris en pain de sucre. Un camarade français travaillait à la cuisine: il a vu beaucoup de monde. C’était très surveillé.
En 1944, mon frère André, venu en Allemagne en janvier 1943, croyant à la relève, était à WEIMAR et travaillait dans une mine de sel. Il était mal nourri, mal logé mais pouvait voyager en Allemagne comme travailleur libre. En 1944 après avoir communiqué avec moi, il est venu par le train passer deux jours à WÜNSDORF. Il a été reçu par la famille TIMN.1ERMAN. Il était en mauvaise santé. Il a vécu avec moi au K. D. 0 et quand-il est parti, je lui ai donné un colis de vivres. Sa santé ensuite s’est dégradée. A la libération, gravement malade, il a suivi hôpitaux et maisons de repos. Il est mort en ….
LES BOMBARDEMENTS
Jusqu’en fin 1943, c’était calme. Le soir, on regardait les escadrilles anglaises qui passaient au-dessus de nous. Le ciel brillait de projecteurs, de DCA, de chasseurs de nuit. On avait l’impression que ce n’était pas pour nous. Une nuit, une forteresse volante a été abattue à proximité. Le dimanche, nous sommes allés voir l’épave: c’était un appareil énorme. Par la suite les bombardements se sont rapprochés, sur les environs de WÜNSDORF. La nuit, quand les sirènes sonnaient, on disait entre nous « je rêvais à une alerte» C’étaient les sirènes des autres pays que nous entendions dans notre sommeil. Les derniers mois, il y avait des alertes fréquentes, les anglais la nuit, les américains le jour. Le ciel était couvert d’avions. Nos nerfs en prenaient un coup. L’électricité était coupée plusieurs heures par jour. Au travail ce n’était pas facile: la sirène était remplacée par une crécelle. Plusieurs fois, des bombes sont tombées tout près. Il y avait une très grande salle de sports à proximité. Elle servait de dépôt, de tabac, de bouteilles de cognac et autres (beaucoup venaient de France). Une bombe est tombée sur l’immeuble qui a pris feu. Avec les allemands, nous sommes allés essayer d’éteindre le feu, c’était impossible. Le cognac coulait à flots. Nous avons pu remplir une grande cruche (broc) que nous avons dégustée au KDO plus tard. Un dimanche, alerte pendant la messe: la chapelle est évacuée. Nous sommes dans le même abri Ge n’aime pas les abris souterrains). Assez souvent, il y avait quelques bombardements le jour. Un jeune français disait «on voit descendre les bombes, on peut les éviter».
En mars 1945, le 13, il faisait un soleil éclatant. Vers 13h30, revenus au travail, j’étais depuis quelques temps avec un camarade, affecté au tirage des sacs, dans une grande baraque un peu à l’écart. Il y avait une petite machine pour nettoyer les sacs. Nous étions toujours seuls et nous nous occupions à classer les sacs par taille. Il y en avait des milliers. C’était un poste de repos. On pouvait lire. La porte était fermée par un cadenas, nous seuls allions chercher la clé. Nous n’avons jamais vu personne. Nous étions là, le 13 mars … une alerte. Le ciel était couvert d’avions et tout d’un coup, ils ont envoyé deux fusées. Nous avons pensé: « ce bombardement est pour WÜNSDORF ». Les américains à 7 ou 8000 mètres d’altitude ont lâché beaucoup de bombes. Nous sommes allés à un abri souterrain, il y avait le feu partout. Des bombes sont tombées sur l’abri. Un camarade près de l’entrée a été tué. Mon camarade de travail a été serré entre deux poteaux (mort). Moi, j’ai senti les planches glisser dans mon dos et je n’ai rien eu. Nous sommes sortis comme nous avons pu et nous avons sorti les corps de nos camarades. Tout était en feu et il faisait noir.
Tout le pays a été détruit sur une longueur de un kilomètre. Un camarade était blessé, j’ai mis mon manteau sous sa tête sur le brancard et ils l’ont emmené à l’hôpital. J’avais laissé mon livre de prières dans la poche de mon manteau. Deux ans après, j’ai reçu mon livre par la Croix Rouge, j’étais déjà à Commentry.
La baraque du KDO dans laquelle j’avais ma place n’avait pas brûlé grâce à un camarade qui était là et qui avait éteint ce qui commençait à brûler (deux autres baraques l’avaient été). Pendant plusieurs jours, nous étions sonnés, personne ne nous a fait aller au travail. Nous avons pu nous occuper des camarades tués (quatre). Ils ont pu avoir un cercueil et quelques jours après, j’ai présidé la cérémonie funèbre dans un cimetière voisin. A cette cérémonie, il y avait beaucoup de camarades des environs, des civils qui travaillaient avec nous ou que nous connaissions dans le pays, les femmes russes (nos voisines), travailleuses libres. Les honneurs militaires ont été rendus par un peloton de six hommes avec un sergent et ils ont tiré une salve. Il y avait aussi des officiers allemands de la manutention.
Quelques jours après, le travail a repris. Chez les femmes russes, il y avait une grand-mère avec sa petite-fille (18 ans). Cette personne a été malade et elle est morte à l’hôpital. Pour l’enterrement, les russes ont demandé qu’elle soit enterrée à côté des français. Le commandant a dit «adressez-vous aux français ». On a pu la ramener et c’est moi qui ai fait les prières.
BOMBARDEMENTS DE MARS 1945
Les gardiens
En kommando agricole, un seul gardien qui logeait au même étage que nous. Dans la journée, on ne le voyait pas. Nous étions chacun chez nos patrons. A WÜNSDORF, au début, un sous-officier et quatre hommes: ils nous conduisaient au travail, et à midi et le soir, ils fermaient à clé la porte de notre petit camp. Peu à peu, les soldats sont partis et nous avons eu un seul sous- officier, blessé en Russie. Il était au repos et très tolérant. Le soir, il venait jouer au poker avec des camarades mordus de jeu. Nous avons eu tour à tour des caporaux âgés; en général, ils étaient bien. Parmi eux, il y eut un pasteur qui avait une paroisse à BERLIN. Il partait le samedi et avant de partir, il me disait: «Bon dimanche, Monsieur SUCAUD ».Il revenait le dimanche soir. Nous étions seuls mais on ne les ennuyait pas eux aussi (pas de fouilles, pas de rassemblement).
En 1944-1945, pour une grosse faute qu’un camarade avait faite, nous avons eu un gardien qui voulait imposer le règlement. C’est lui qui a été fatigué le premier. Le dernier gardien a accompagné un groupe de prisonniers au Stalag puis il est parti. Les Russes arrivèrent le lendemain.
Les soins
Il y avait un grand hôpital militaire et des prisonniers ont été hospitalisés et opérés comme des soldats allemands. Nous pouvions nous faire porter malades le matin – pour ne pas aller au travail – mais pas trop à la fois. Nous allions seuls à l’hôpital et en principe deus jours par semaine. Nous y allions les autres jours … et on nous disait: «pas aujourd’hui ». Nous le savions bien, mais c’était une occasion de ne pas aller au travail.
Le dentiste
Nous allions chez le dentiste sans être accompagnés. C’était un cabinet privé. Le patron était un grand handicapé, il écrivait à son bureau et remplissait les feuilles de soins pour le stalag. Il y avait deux fauteuils très bien équipés où travaillaient une jeune dame (Ingebord) et un militaire. En principe, on pouvait se faire soigner une dent de temps en temps. J’ai eu une dent couronnée et des camarades ont eu des dentiers complets (en échange de chocolats, sardines … etc.) Dans la salle d’attente, il y avait surtout des femmes. Nous les faisions passer avant nous. Nous avions le temps (là ou ailleurs !) : on nous trouvait très polis.
Détails sur la famille TIMMERMAN (citée plus haut) :
A WÜNSDORF, j’ai fait la connaissance de la famille TUv1MERMAN je ne sais pas comment). Cette famille se composait d’une grand-mère, de Monsieur TIMMERMAN, de Madame et sept enfants: – l’aîné, étudiant en médecine était mobilisé Ge ne l’ai jamais vu)- deux jeunes filles (une religieuse infirmière, une civile infirmière) – un adolescent (au Lycée de DRESDE) – des petites filles.
Monsieur TIMMERMAN était professeur civil à l’école d’officiers de chars. Il était catholique d’origine. Madame était convertie (protestante). Ils étaient, avec quelques autres, la base de la communauté catholique Monsieur TIMMERMAN avait fait partie de l’Ambassade à ROME, du temps de la République de WEIMAR. Il connaissait Pie XII. Il Y avait la photo dans le salon de sa maison. Chaque samedi libre, ils me recevaient chez eux, l’après-midi. Leur maison était un peu à l’écart, près de la ligne du chemin de fer vers DRESDE.
Madame TIMMERMAN était une femme active. Grâce à elle, sa famille ne manquait pas trop pour la nourriture. Ils élevaient des poules, un mouton. Au KDO, nous lui donnions chaque jour les restes de la cuisine. Elle venait les chercher pour nourrir ses volailles. Un jour, elle nous a donné un œuf frais pour chacun. Aux fêtes légales, leur maison, comme les autres, avait le drapeau (rouge, croix gammée). Monsieur TIMMERMAN recevait chez lui beaucoup de sous-officiers pour des leçons particulières. Un jour, j’étais présent et il m’a présenté: «un prêtre français, prisonnier de guerre ».Quelquefois, on écoutait la radio anglaise, elle était très brouillée. Je voyais la famille le dimanche, le culte catholique était célébré dans une grande salle contiguë à notre camp. C’était un officier allemand qui célébrait et en raison de la garnison, il y avait beaucoup de monde. Un dimanche matin, il y a eu une alerte et la chapelle a été évacuée dans un abri où nous sommes allés. L’aumônier allemand (un capitaine) parlait bien le français; il m’a dit: «c’est triste mais c’est le seul moyen pour que ça finisse ».
En mars 1945, au cours d’un bombardement par l’aviation américaine, la chapelle a brûlé. A la Pentecôte 1944, le fils TIMMERMAN suivait un camp de jeunesse. En rentrant le soir, ses parents et une autre famille sont venus à la chapelle. Nous nous sommes fermés à l’intérieur et j’ai célébré la messe pour eux. En cours du mois d’avril 1945, ils m’avaient expliqué comment ils allaient partir avant l’arrivée des russes et indiqué la route qu’ils prendraient jusqu’à leur canton d’origine dans le SLESVIG HOLSTEIN. Ils partiraient quand la radio dirait que les russes attaquaient sur l’ODER. Et en quelques jours ils seraient à BERLIN. Après nous avoir dit « au revoir », ils sont partis sauf la grand-mère qui ne voulait pas.
DERNIERS MOMENTS A LUCKENWALD- STALAG
Avril 1 94!5- avant d’être libérés. Vers midi, le samedi, nous sommes entrés au stalag. Personne ne nous a rien demandé. Il y avait encore quelques allemands et nous nous sommes installés dans une grande baraque en dur. Nous nous sommes couchés sur le parquet sans pouvoir nous mettre sur le dos; il Y avait trop de monde. Avec quelques camarades de WÜNSDORF, nous avions une place et à tour de rôle nous la gardions quand on voulait sortir. Personne ne nous a donné à manger mais heureusement, nous avions quelques réserves. Le dimanche matin, je suis allé à la baraque chapelle. J’ai pu célébrer la messe mais les dernières prières ont été réduites car, dans un énorme vacarme, les chars russes arrivaient. Ils ont renversé les barbelés et libéré des russes prisonniers qui sont partis dans la ville voisine. Le camp s’est organisé sous le commandement d’un général norvégien et des officiers sont sortis de partout. Le ravitaillement n’existait pas. Un jour nous avons mangé un morceau de cheval que les italiens avaient abattu dans une baraque. Les français étaient les plus nombreux et certains avaient des places. Là, j’ai trouvé l’Abbé CHABOT, lieutenant des tirailleurs. Dans les services on a pu retrouver nos dossiers (et photos). Beaucoup partaient et allaient voir les endroits où ils étaient avant, moi je suis resté au camp, n’aimant pas beaucoup l’aventure.
Pendant deux semaines, la vie s’est organisée. Le 1 er mai (défilé – Marseillaise – fête de Jeanne d’ Arc) : un grand podium sur le stade – messe et musique, Nous ne savions rien de notre avenir, personne n’avait pris notre identité. Un jour, des camions, conduits par des noirs américains, sont venus. Ils sont repartis à vide: le Maréchal JOUKOF nous gardait comme monnaie d’échange.
Un jour, vers le 15 mai, on nous a embarqués dans des camions et conduits à JÜTERBORG – Altes-lager. C’était mieux: un camp de petits logements en bon état et un grand gymnase et la vie de nouveau qui s’organise. Service religieux, nursery pour des bébés (souvent des mères françaises) – cercle politique – scouts – JOC. Les communistes étaient les plus organisés. Nous pouvions faire du feu avec les bois qui servaient d’abri dans les caves. Un beau jour, on nous rassemble en groupes et nous sommes embarqués dans des camions. Le soir nous sommes près de l’Elbe à LUTHERSTADS WITEMBERG. Dans une caserne en désordre, des armes (PANZER FAUST). Chacun s’installe comme il peut, on couche par terre. Il fait chaud. Un jour, on nous fait passer devant un médecin (une femme russe), elle nous donne un papier. Ce sont les mêmes qui passent plusieurs fois. Quelques-uns sortent et vont visiter la ville, d’autres vont au concert à la cathédrale. Un jour, un groupe français décide de partir. Un capitaine dirige tout et la foule traverse la ville en direction de l’Elbe. Le passage du fleuve était interdit, on passe la nuit dans un bois et le matin, on traverse l’Elbe sur un pont de bateau. Mais sur l’autre rive, les Russes avaient une tête de pont à DESSAU, complètement démolie. Sur le soir, des camions américains nous embarquent (entassés debout dans les camions). Les chauffeurs noirs font la course sur l’autoroute et on craignait qu’il y ait des accidents. On arrive à HALLE (un aéroport) : les premiers arrivés sont embarqués en avion et quelques heures après, ils étaient à PARIS. Mon groupe est resté huit jours à HALLE, nourri au café au lait et couvert d’insecticides. Ensuite on nous embarque en chemin de fer (wagons à bestiaux). Nous étions entassés mais les portes étaient ouvertes, quelques-uns étaient sur les toits. Le train s’arrêtait souvent car la signalisation était détruite. Aux arrêts, des Allemands venaient faire des échanges, surtout pour manger mais nous n’avions pas grand-chose. Une fois, nous nous sommes arrêtés dans un très grand champ de fraises. On a pu se servir à volonté. Un signal sonore indiquait que le train allait partir. Quelques-uns restaient pour le suivant, personne n’étant identifié.
Voyage par LEIPZIG – ULM – FRANCFORT sur le MAIN – la SARRE (tout détruit). Débarquement à DOMBASLE (une vieille connaissance), visite médicale, inscription, un billet de 1000 francs (de 1945). Dans la journée, embarquement par région. J’ai débarqué à PARIS, à la Gare de l’Est puis conduit à la caserne de Reuilly où nous trouvons des lits. Quelques heures après, départ gare d’Austerlitz. Nous roulons vers MONTLUCON et là, ma nouvelle vie commence: mon retour dans ma famille et ma vie de prêtre jusqu’à cette année 1993, où j’allais m’installer à VILLARS ACCUEIL à MOULINS. Dans le train pour MONTLUCON, dans le même compartiment que moi, il y avait un homme qui avait été prisonnier et qui avait été libéré plusieurs semaines avant moi « Vous allez à MONTLUCON? » me dit-il. « Je vous recommande de passer par la sortie de la gare de marchandises et de garder vos papiers (car moi j’ai toujours les miens) et je peux me promener partout sans rien payer ». Un débrouillard.
Le train s’est arrêté assez longtemps à la gare des AUBRAIS où la Croix-Rouge distribuait un petit goûter aux prisonniers. Ensuite, on est partis sur VIERZON via MONTLUCON. Je suis donc sorti par la gare de marchandises (en gardant mes papiers). A la paroisse St-PAUL, on ne m’attendait pas. C’était un samedi soir. De là, on m’a fait téléphoner à ma famille et le lendemain, je suis allé célébrer la messe à la Chapelle des Guinneberts. Avec le curé de ST PAUL, on avait décidé que je partais par le train pour ARFEUILLES, mais un commerçant (en plus un de mes paroissiens) allait le lundi à ROANNE. Il s’est proposé de m’emmener. Il m’a déposé aux ESPALUS (c’était sur la route entre ROANNE et LYON). Je l’ai bien remercié. Ce monsieur avait plusieurs enfants (dont un qui s’est marié à COMMENTRY) – lui-même se retirant à COMMENTRY par la suite. Je suis donc parti à pied et c’est là, qu’à mi-chemin, j’ai été interpellé par Mme FORGE du village GOUNOT, qui m’avait reconnu. Je m’étais assis sur une borne car j’étais fatigué et cette personne m’a emmené chez elle et m’a fait une «fameuse omelette» – pour moi, un vrai festin. Cet épisode d’ailleurs, a été mentionné dans le livre de Jean DESBORDES (écrivain bourbonnais).
Je suis donc reparti à ARFEUILLES. J’ai trouvé mon père à notre maison. Les retrouvailles ont été très heureuses et mon père m’a préparé un repas «rustique ». Nous sommes allés au cimetière sur la tombe de ma mère. Je suis resté deux ou trois jours et avec mon père, nous sommes partis par le train. On s’est arrêtés à MOULINS et on a été reçus à «l’Hôtel du Parc» qui était réquisitionné par l’armée pour les prisonniers. Dans les sous-sols, nous avons eu un bon déjeuner. A MOULINS, nous avons été voir mon frère Lucien qui était hospitalisé. On a repris le train pour PARIS mais la ligne de chemin de fer à NEVERS était interrompue, le pont sur l’Allier avait été détruit. Avant NEVERS, à SAINCAlZE, on nous a dirigés vers BOURGES – VIERZON. Dans le train, j’étais endormi, un contrôleur me réveille. Je n’avais pas pris de billet donc il s’est excusé d’être obligé de me faire payer une amende (la plus petite). Le train nous a emmenés vers la gare d’Austerlitz, à PARIS. Mon beau-frère est venu nous chercher et nous a emmenés chez lui à COURBEVOIE où nous avons retrouvé ma sœur et leurs deux enfants. A ce moment-là, mon frère André était hospitalisé à la Salpetrière. Le directeur était né «chez nous» à SAINT ANGEL, à côté de MONTLUCON et avait encore une propriété dans l’Allier, dans la forêt des Colettes. Ma sœur qui avait une certaine assurance s’est débrouillée pour avoir une entrevue avec lui, pour avoir des nouvelles de la santé de mon frère. Il lui a dit que ce n’était pas brillant. Nous sommes restés quelques jours puis nous avons repris le train, direction MONTLUCON et mon père pour MOULINS. J’ai retrouvé ma chambre à ST PAUL et j’ai fait connaissance avec d’autres (ex) prisonniers.
C’était autour du 24 juin 45. J’ai fait la navette entre ARFEUILLES et MONTLUCON pour voir ma famille (et entre autres, ma sœur religieuse). A ARFEUILLES, nous nous sommes rencontrés entre prêtres (anciens prisonniers). C’était le 8 septembre, une messe a été dite à la Chapelle St Pierre, par l’Abbé DUVERGER (que j’ai retrouvé à VILLARS-ACCUEIL en 1993, où je réside actuellement). Il y avait énormément de monde car les familles de prisonniers étaient présentes.
Je suis retourné à la paroisse ST PAUL à MONTLUCON où j’ai exercé comme vicaire jusqu’en décembre 1945. J’ai été convoqué à 10 heures du soir par Monseigneur JACQUIN pour me dire qu’il me nommait curé à COMMENTRY. J’étais suffoqué, et je lui ai dit que je ne voulais pas y aller mais celui-ci m’a répondu: « je ne vous demande pas si vous voulez ou si vous ne voulez pas. Vous irez, un point c’est tout». En tant que jeune prêtre, j’étais impressionné par la «réputation» de la paroisse. Arrivé à COMMENTRY, j’ai été bien aidé par le vicaire, l’Abbé LOUIS et grâce à lui, je me suis parfaitement habitué et intégré. J’y suis resté 37 ans, jusqu’à l’âge de la retraite. J’ai ensuite rejoint NERlS les BAINS, comme prêtre habitué, où je suis resté 10 ans. En 1993, je suis donc rentré à la Maison de Retraite VILLARS ACCUEIL, comme résident. Je coule des jours paisibles et je reçois nombre de visites et d’appels téléphoniques de mes anciens paroissiens et amis, preuve que l’on ne m’a pas oublié.
8 novembre 2006